PAR
TONINO SERAFINI
De nouvelles plaintes ont été déposées hier contre BNP Paribas Personal
Finance.
Le dossier judiciaire des «prêts toxiques» dans lesquels se trouvent pris au piège près de 4000 particuliers, s’épaissit. Hier, 44 nouvelles plaintes pour «pratiques commerciales trompeuses» ont été déposées auprès du parquet de Nanterre (Hauts-de-Seine) par l’avocat parisien Charles Constantin-Vallet, qui défend un collectif de victimes. Ces recours visent BNP Paribas Personal Finance, qui a conçu ces prêts, et plusieurs intermédiaires en opérations bancaires, qui les ont commercialisés. Dans le cadre de ce dossier, 57 autres plaintes, déposées en novembre-décembre auprès du tribunal de Paris ont été regroupées à Nanterre, portant donc le total à plus d’une centaine.
Comment est arrivée l’affaire des Prêts toxiques ?
Tous les particuliers pris dans cette tourmente ont en commun d’avoir souscrit en 2008- 2009 un prêt dénommé Helvet Immo, pour financer l’acquisition d’un logement destiné à la location, dans le cadre des dispositifs fiscaux Robien ou Scellier. Ce sont des intermédiaires, chargés de commercialiser ces logements, qui leur ont proposé un «package».
«Ils nous ont dit : on s’occupe de tout, de la gestion locative comme de votre prêt pour financer votre achat», témoignent les souscripteurs. Helvet Immo a la particularité d’être consenti en francs suisses par la banque, mais remboursable en euros par le client. A l’époque, ce prêt affichait un taux d’intérêt inférieur au marché.
«La puissance de notre groupe nous a permis d’accéder à l’un des refinancements les plus bas du marché et durablement stable», soulignait BNP Paribas dans un document. Son prêt était moins cher, mais sacrément risqué. Le montant du capital restant dû dépend de l’évolution du cours du franc suisse par rapport à l’euro.
Quel impact sur les emprunteurs ?
La devise suisse n’a cessé de grimper face à la monnaie européenne.
«On a l’impression d’être dans un mauvais film», affirme un des plaignants. Libération
a pu consulter des relevés de situation d’emprunteurs. Ils montrent que plus le temps passe et plus le capital restant dû grossit.
«C’est très angoissant. Le capital à rembourser augmente sans cesse», dit une femme. Un couple ayant souscrit un prêt d’un montant de 145 834 euros en décembre 2008 doit à présent 185 362 euros, soit près de 39 500 euros de plus que le
capital emprunté. Un homme a écrit à la BNP qu’il vit «avec une épée de Damoclès»
au dessus de la tête. Le capital de 205 800 euros souscrit en juin 2008 est passé à 280 000 euros en septembre 2011.
«Le banquier, qui est un professionnel de la finance, ne pouvait pas ignorer que ces prêts comportaient de gros risques pour les souscripteurs, affirme Me Constantin-Vallet.Les gens sont dans un état de désoeuvrement face au refus de la BNP d’assumer sa responsabilité financière au vu des conséquences de ces prêts.» La banque a arrêté la commercialisation d’Helvelt Immo fin 2009, au vu de la dérive de la parité franc suisse-euro.
Quelles solutions pour les emprunteurs ?
Contacté par Libération, BNP Paribas Personal Finance affirme avoir «fait une démarche
auprès des clients qui ont sollicité la banque afin de régler leur dossier». «L’entreprise s’est mobilisée», indique son service de communication. La réalité est moins rose. Quand les emprunteurs paniqués demandent à renégocier leur prêt sur la base du capital emprunté au départ, il leur est généralement répondu : «Notre établissement n’a pas convenance à répondre favorablement à votre demande.» Cette formule est employée de manière
récurrente dans de nombreux courriers que Libération a consultés. La banque n’est disposée à consentir qu’un seul geste : si l’emprunteur parvient à contracter un crédit dans un autre établissementen vue de procéder à un remboursement anticipé d’Helvet Immo, la BNP se dit «disposée» à l’«exonérer»«des indemnités et des frais de change prévus conventionnellement». Mais tout l’argent dû en plus à cause de l’effet de change est pour
leur pomme. Selon nos informations, certains clients ont accepté cette solution, préférant se sortir de cette lamentable affaire, d’autres ont préféré laisser courir, espérant une baisse du franc suisse. Et plus d’une centaine ont attaqué la banque au tribunal. Enfin, d’autres ont saisi la médiatrice de BNP Paribas Personal Finance, Marie Pierre de La Gontrie (également vice-présidente socialiste de la région Ile-de-France). Sur 73 dossiers qu’elle a reçus, 31 n’ont pas eu d’offre favorable, et «42 ont reçu une proposition chiffrée, comportant la transformation de leur Helvet Immo en prêt en euros à taux fixe avec prise en charge par la banque d’une partie de la hausse du capital dû liée à l’effet change».
Autrement dit, dans ces dizaines de cas, la banque a endossé une partie de la casse. Selon Me Constantin-Vallet, le maximum obtenu dans des dossiers qu’il a eu à connaître, c’est 10000 euros. Modeste au regard des pertes.
Que fait le gouvernement ?
L’affaire prend une tournure politique : le Sénat a adopté le 22 décembre un amendement
du maire (PS) de Saint-Etienne, Maurice Vincent, qui interdit ces prêts toxiques pour les particuliers. Cet amendement a été adopté dans le cadre du projet de loi Lefebvre, visant à renforcer la protection des consommateurs. Mais cette loi risque de rester lettre morte : l’Assemblée nationale n’aura pas le temps de l’examiner avant la fin des travaux
parlementaire, mardi ou mercredi. En outre, plusieurs députés PS (Jean Launay, François Brottes, Daniel Boisserie) ou de la majorité, comme Franck Reynier, ont posé des questions, demandant quelles mesures le gouvernement entend mettre en oeuvre afin d’obliger les banques à renégocier avec leurs clients ces prêts. Ils attendent toujours une réponse.